« Nuancier » ou le spectacle d’une vaine appropriation
Soit un artiste français qui vient en vacances à Salvador en 2007. Emerveillé par le lieu où est sis le MAM. Il décide de revenir en novembre et décembre 2008 et de proposer un projet plastique, spécialement conçu autour et avec les personnes qui font ce lieu. Il demande donc à une cinquantaine d »hommes brésiliens, étudiants des Beaux-Arts et personnels salariés du musée, de poser, frontalement, torse nu, en photo. Tous « uniquement choisis sur la couleur de peau ». Du blanc au noir, ces êtres déclinent, selon l »artiste, une « gamme » de couleurs, que l »on pourrait associer à un nuancier… À ces prises, il fait effectuer des gros plans de la peau de chacun d »eux, qui, prises dans le cou, sous l »aisselle, sur le ventre, à l »épaule, ou bien en des lieux chastes que seuls un regard subjectif, en définitive, teinté d »érotisme, choisit.
Et puis en ces premiers jours de mai, plusieurs mois après, Pierre David nous montre l »oeuvre, créée et établie autour de cette matière première, la peau de l »homme. Plus précisément la couleur de peau.
Les deux couloirs de la chapelle se voient tapissés, sommairement, de dizaines de tirages digitaux punaisés de haut en bas, sous forme de dyptiques, en couleur. Torse et peau, juxtaposés. Tandis qu »au centre de la chapelle, dans le choeur, sont alignés sur une table rectangulaire étroite quarante pots de peinture étiquetés circulairement avec des photos des torses et visages de quarante « élus ». Tandis qu »un nuancier, retenu par une chaînette, est posé sur une table voisine (voir « ici »).
Ce qui intéresse l »artiste « est comment on détourne l »art décoratif », voire la manière « de prendre un objet et lui faire dire autre chose ». Et plus précisément ce « que veut dire acheter la couleur des gens ». Il va donc mettre en scène ces corps, selon ses mots. Et pour cela, démontrer « qu »on peut faire faire cette couleur ». De la plus claire à la plus foncée, donc. En scannant la peau, puis en confiant à un chimiste la mission de définir la couleur, qui viendra s »afficher sur le nuancier.
Mais nous sommes tentés par des questions… Par exemple, de milliards de cellules composée, la peau ne serait-elle que réductible à une seule teinte ? Ne serait-elle changeante sous les climats ? Ne fonce-t-elle pas au soleil, ne pâlit-elle pas en d »autres saisons ? Sous telle pression ne devient-elle pas rouge ? Ne vieillit-elle pas et devient grise ? Ne jaunit-elle pas sous la douleur ? Ne vient-elle pas noircir par des coups portés ? Ne se lisse-t-elle pas par les caresses ? Ne vient-elle pas se brûler sous la flamme du soleil ? Ne vient-elle pas se pigmenter au gré des saisons ? Ne vient-elle pas rosir quand elle se reforme ? Un regard large et humain distingue-t-il la même chose qu »un regard de téléobjectif ? Un iris de telle ou telle couleur perçoit-il les mêmes teintes ? Etc. Etc.
Tout cela, « Nuancier » ne l »intègre et voudrait, avec l »objet à vendre, nous replacer sur le terrain de la marchandise numérotée et fidèle à un « échantillon » inaltérable. Peau humaine et altérités ne seraient-elles pourtant pas jumeaux inséparables ?
Et Pierre David affirme qu » »ici, comme en France, la couleur de la peau est une marque sociale importante ». D »abord, nous lui répondrons que non, ici à Bahia, rien ne se compare d »un côté à l »autre de l »Atlantique. Sitôt dans les cimes sociales, l »homme « de couleur » ne connaît quasiment aucun rejet, au Brésil. Bien tout le contraire de la France, où cela n »entrave en rien le racisme. Plus loin, l »artiste suggère que son « échelle Pantone des couleurs de peau réunit dans toutes les couleurs un niveau d »égalité (…) ». Égalité, par ce biais ? Nous ne voulons pas rentrer pas sur le terrain de la « société », quand il s »agit d »exposition artistique. L »art ne devrait-il pas nous parler du « monde » et non d » »égalité » et de « soi » ? Le philosophe Martin Buber ne disait-il pas : « Commencer par soi, mais non finir par soi ; se prendre pour point de départ, mais non pour but (…) ».
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