Genèses du regard d’un « voyeur sublimé »

claudia2« On se débarasse à bon compte des voyageurs et du voyage en alléguant que presque tous les départs sont des fuites. Peut-être. C’est oublier qu’il y a des choses devant lesquelles on ne peut que fuir : des lieux, des familiers, des « raisons » qui nous chantent une chanson si médiocre qu’il ne reste qu’à prendre ses jambes à son cou. »*
Pierre Verger, photographe. Depuis le 16 septembre, une exposition cerne les premières influences esthétiques et le contexte des années trente, dès sa décision de quitter le monde bourgeois familial, parisien, pour un premier voyage en Corse qui ouvrira son regard et le verra se lancer éperdument dans une ronde planétaire. Ce « passeur de lumière », selon l’expression du poète Joel Vernet,  ne s’arrêtera plus. C’est la période qui précède son installation à Bahia (le 6 août 1946) que la commissaire de l’exposition, Claúdia Pôssa, a choisi de nous montrer, après de longues recherches tant à Paris que dans le monde entier. En cinq salles, la jeune femme, professeur à Salvador, met en scène, chronologiquement et didactiquement, les productions des premiers amis photographes, puis de Verger lui-même. La mostra  vient proposer des reproductions des premières publications de Verger dans des revues comme Regards, Voilà, Mer & Colonies, Vu, Life. Et n’oublie pas non plus d’offrir à notre regard, sous vitrine, les premiers scrapbooks, les carnets de notes, les brouillons, les ébauches de légendes effectuées par celui qui deviendra, bien plus tard, au Bénin, « Fatumbi ».
verger6 Ainsi notre flânerie visuelle nous emmène en Algérie, au Togo, au Japon, en Chine, en Polynésie (Ravavae, Rurutu, Tahiti, Moorea) sur les pas de celui qui cherche et se cherche. Et sait voir, très vite. D’un clic, que ce soit en Guadeloupe, à bord d’un paquebot, au Vietnam, au Mexique, il s’approche des visages, des corps, il ne nous cache rien, déjà, de ses désirs secrets, sans cesser pour autant de figer dans l’argent, souvent, des séries de scènes qui peuvent s’apparenter à un travail de terrain d’un anthropologue. Et dès la fin de ces  années trente, par une photo prise sur tel ou tel étal de marché béninois, les prémisses de la plongée intime et définitive de Verger (portrait ci-contre © Juan Esteves) au coeur du monde noir nous apparaissent comme une évidence. Ainsi, le photographe  – « qui s’est connu lui-même », selon les mots de la sociologue bahianaise Maria Palácios – ne déclarait-il pas en 1989 : « Je pense qu’un bon photographe est un voyeur sublimé »**.

* Nicolas Bouvier – « Thesaurus Pauperum », in L’échappée belle / Editions Zoé – 1996)
** À Patrick Rodgers, le 18 avril 1989.

– « De um mundo ao outro – Pierre Verger nos anos 30 ». Jusqu’au 18 octobre 2009. Palace das Artes Rodin Bahia. Salvador. (photo © A. Baradel) Ce jeudi 24 septembre, à 19h30, dans les locaux de l’Alliance Française de Salvador, la bilingue Cláudia Pôssa organise une conférence, en compagnie de Alex Baradel du co-commissaire de l’exposition et responsable des archives photo de la  Fondation Pierre Verger.

Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *