Moritz Thomsen, maverick à Bahia (1)
L’une de mes étagères de livres, de fortune, en briques, se brise. Un ouvrage choit au pied de ma chaise. Maquis, de Philippe Garnier. Je feuillette, heureux de revoir la couverture d’un livre, acheté il y a quinze ans. Mes doigts courrent entre les pages… Y figurent cinq portraits d’écrivains. L’un retient mon attention, car l’auteur l’évoque ainsi: « Contrairement aux grands voyageurs, mais comme les meilleurs écrivains de voyage, Thomsen fait du surpalce partout où il va ». Son nom ? Moritz Thomsen. Fils de milliardaire, né à Seattle, 1915 et mort à Guyaquil, 1991, du choléra. Fidèle, me dis-je, à ces misfits, aux mavericks, à ces rockers malchanceux, à ces seconds couteaux d »Amérique centrale, surtout, auxquels Philippe Garnier s’intéresse depuis trente-cinq ans. Aux marges des légendes, Garnier, accompagné d’une caméra (Cinéma, Cinémas) ou seul devant la page blanche, ou traduisant. Saudade de Angie Dickinson, vie non mythifiée de David Goodis, proses de John Fante et de Bukowski… Combien d’années à lire ses chroniques dans Libération ? J’ai perdi a conta, comme on dit en brésilien.
Mais revenons à Moritz et au récit de Garnier :
« Il y a une sorte de saoulerie de la catastrophe presque célinienne chez Thomsen, comme si la misère et l’ineptie ambiante lui dictaient sont laisser-aller physique. (…) Entre deux malaises ou syncopes, Thomsen parvient tout de même à rallier Bahia et Salvador de Todos os Santos, dont il tombe amoureux. L’air et les rues tortueuses de la vieille ville, comme la beauté des gens, le transportent et lui font momentanément oublier ses ruminations pessimistes. Il avoue même retrouver la volupté qu’il connaissait par ses lectures, quand il était encore un « enthousiaste masturbateur » dans le jardin de sa grand-mère à Pasadena, quand pour lui les Tropiques étaient plutôt synonymes de « lourdeurs érotiques » que des réalités irrecevables auxquelles il était confronté depuis près de vingt ans en Équateur. il s’enivre comme un vieux collégien au cours d’une soirée avec le seul écrivain qu’il ait désiré rencontrer durant ce voyage, Jõao Ubaldo Ribeiro (l’auteur de Sergent Getúlio, roman qu’il admire pour sa sécheresse et sa sauvagerie). (…) »
Salvador ! João Ubaldo Ribeiro ! Natif d’Itaparica, écrivain couvert de gloire ici à Bahia et au Brésil, et de prix dans le monde lusophone, depuis trente ans. Ami proche de Glauber Rocha. Une gouaille comme il y en a peu au Brésil. Un homme au rire tonitruant. Mille histoires à son propos, souvent coquines, qui pimentent les récits de mes collègues journalistes, ici, à Salvador. Aperçu il y a encore un mois en un cocktail à l’Académie des Lettres. Filmé en super 8 lors de mon arrivée à Itaparica il y a dix ans, torse nu devant sa maison natale. Censuré en 2008 par le secteur de la grande distribution français. Etc. Etc. Ce serait tout de même bien d’en savoir plus sur cette rencontre avec Mortiz Thomsen. Je vais écrire à Jõao.
* À l’époque non traduit en français, M. T. l’est désormais aux éditions Phébus, grâçe à P. Garnier. D’autres livres de Moritz Thomsen: Le plaisir le plus triste – The saddest Pleasure (2003), La Ferme sur le Rio Esmeraldas – The Farm on The Rivert of the Emeralds (2002). Tandis qu’un article de Serge Kaganski évoque le parcours personnel et le dernier livre de Philippe Garnier (photo ci-contre).
Commentaires récents