Le sein, la marguerite et le chien
Elle est nue ou presque, assise dans la soupente poussiéreuse. Ses très longs cheveux blonds cachent la blancheur de sa peau. Elle saisit l’anse d’une tasse à café, immaculée, posée sur sa soucoupe. Mais la tasse est vide, d’une blancheur virginale. La scène a duré un éclair. Sur l’un des deux autres écrans géants, au même moment un homme jeune et mince, habillé comme en hiver, tente de gravir, d’escalader le mur d’une maison abandonnée, la nuit venue. Des grilles lui font obstacle. Il semble avoir une massue dans la main pour ouvrir son chemin. Des gravas jonchent les sols des pièces de l’immense demeure, qu’il parcourt frénétiquement. Sans cesse, les trois grands écrans qui emplissent trois des murs de la gigantesque pièce centrale du Palácio da Aclamação, dans l’obscurité totale, durant une bonne dizaine de minutes en boucle permanente, vont projeter des images simultanées, indépendantes, de l’Homme et de la Nymphe. On apercevra furtivement, entretemps, un lit nuptial vide, un chien qui dévore de la viande crue à même le sol, une baignoire vide, voire un gros plan de la joue de la « princesse » qui mâche sa part de viande. Tout s’entrechoque, le plus souvent dans une lumière des plus faibles, parmi des dizaines de plans. Montage, beau montage. Nous reconnaissons, parfois, l’endroit même de la projection comme le décor filmé. Et l’Homme revient souvent, la massue en main, pour percer et détruire des parois à la recherche, visible, de la donzelle. Une narration sans cesse cassée et déstructurée. Viendront ensuite une baignoire de marbre encastrée, vide, puis pleine. Un lavabo détruit à la masse. Une marguerite flottera aussi, plus tard, sur le sein de la Belle. Des pièces vides, desespérément vides. Des sols qu’il faut défoncer, à toute volée. Rien n’y fera. Pour l’Homme, il y a toujours un mur, une galerie, un couloir, à franchir pour L’atteindre. Le chien réapparaît puis disparait. Chimères.
Absolument fascinante, l’oeuvre muette du bahianais Caetano Dias est de celles qui se vivent en trois simultanéités, en ce palais réel, et nous convie, entre autres, au nécessaire compagnonnage renouvelé des fantasmes érotiques.
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O Bicho Geográfico. De Caetano Dias. Jusqu’au 28 novembre 2010. Palácio da Aclamação. Mini catalogue offert. Dans la préface, « Os labirintos de Caetano Dias », Cláudia Pôssa évoque savemment le chemin emprunté par Caetano, « qui, comme Georges Bataille, accepte le défi de danser avec le temps qui nous tue », et « voit comme ultime sens de l’érotisme le désir anxieux de fusion ».
– Le vidéaste a pensé son œuvre autour de la « figure de l’homme qui s’approprie, qui s’étale. C’est l’incarnation de l’envahisseur, de l’Européen qui a occupé nos terres, qui vient avec son pouvoir modifiant tout et gérant une nouvelle forme d’interpréter et travaille le temps » (« homem que toma posse, que se espalha. É a encarnação do invasor, do europeu que tomou as nossas terras, que vem com seu poder modificando tudo e gerando uma nova forma de interpretar e lidar com o tempo »). Cette lecture politique, pour le spectateur « ingénu », peut ne pas être effective au premier abord.
– Des oeuvres de C. Dias appartiennent au fonds de la Casa de Las Américas et du Centro de Arte Contemporânea Wifredo Lam, à Cuba et du Museu Berardo à Lisbonne, au Portugal.
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