Le théâtre de Martim Gonçalves, modèle novateur pérennisé ?

Durant l'une des expositions, "Théâtre et danses populaires au Brésil" en mars 1957, que Martin Gonçalves organisa à Paris, au Théâtre des Nations (aujourd'hui Théâtre de la Ville). Le journal "Combat", du 15 mars 1957, en page 3, évoqua ce moment. Ainsi que la revue "Arts". Dans le hall Sarah Bernhardt, Martim Gonçalves est à gauche.
Jussilene Santana est professeure de journalisme – en disponibilité de la Faculdade da Cidade do Salvador (privée) pour cause de doctorat d’Arts scéniques, à l’Universidade Federal da Bahia (publique). Elle est journaliste et actrice, depuis une quinzaine d’années, sur les plateaux comme sur les sets de tournage. Ses deux dernières interprétations sont incluses dans les deux seuls longs-métrages bahianais qui sortent cette fin d’année: O Jardim das Folhas Sagradas, de Pola Ribeiro et Capitães da Areia, de Cecilia Amado.
Elle a publié en 2009 un ouvrage* qui dresse le portrait de l’univers théâtral et des profonds changements amenés par la nomination du metteur en scène Martim Gonçalves, dans les années 50, à Bahia. Les féroces élites de Bahia auront sa peau.
Martim Gonçalves, psychiatre de formation, a effectué de nombreux voyages en France dans les années cinquante et soixante, et fut nommé par le novateur et « révolutionnaire » recteur de l’université publique de Bahia. Martim fut également l’un des premiers Brésiliens à recevoir une bourse de l’Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (IDHEC, aujourd’hui FEMIS) (1).
Sur la situation actuelle du théâtre, à Salvador et à Bahia, laissons la parole à Jussilene : « Je ne dis pas que le passé était meilleur et point final. Mais j’analyse profondément comme il y a eu un changement dans la forme d’incitation/investissements, en ce moment 2007/2010, qui ôta le capital de l’embryonnaire théâtre professionnel et a renforcé les activités culturelles sur un modèle d’assistanat. »
– Pourquoi ce livre, Jussilene Santana ?
Mon livre Impressões Modernas – Teatro e Jornalismo na Bahia évoque une époque fascinante qui se situa au coeur du XXe siècle, quand de très nombreux artistes et intellectuels de divers points du globe, comme le metteur en scène et scénographe Gianni Ratto (qui fut co-fondateur du Piccolo Teatro de Milan), la chorégraphe polonaise Yanka Rudska, le chef d’orchestre allemand Hans-Joachim Koellreutter, l’anthropologue portugais Agostinho da Silva, l’architecte italienne Lina Bo Bardi et les écrivains et metteurs en scène nord-américains Herbert Machiz et Charles McGraw (Charles Butters), le photographe et ethnologue français Pierre Verger, au milieu de beaucoup d’autres, sont arrivés dans la capitale, la grande majorité invités par l’Universidade da Bahia, pour écrire sur et enseigner l’art. Mon livre accompagne, au fil du crible de deux quotidiens de Bahia, ce mouvement artistique par le biais du théâtre, à partir de la création de l’Escola de Teatro par le metteur en scène et scénographe Martim Gonçalves. La recherche pour ma maîtrise que j’ai effectuée entre 2003 et 2006 a permis d’éditer le livre en 2009.
– De quelles classes sociales étaient issues les personnes critiquant le travail de Martim Gonçalves ?
Bien qu’il ait existé alors de nombreuses « entreprises journalistiques » dans le Salvador des années 1950 et 1960, le journalisme était majoritairement amateur et pamphlétaire. Les journaux étaient corps et biens liés à des groupes politiques et des familles oligarchiques et défendaient leurs intérêts. Quant aux journalistes, peu en faisaient leur profession, beaucoup étaient de simples étudiants. Martim était un directeur rigoureux, mais les critiques à son travail furent rendues publiques quand il entra en conflit personnel avec Odorico Tavares, le directeur délégué à Bahia de l’un des empires de communication de cette époque – fondé et dirigé par le milliardaire d’alors Assis Chateaubriand -, qui contrôlait, à Bahia, une télévision, deux quotidiens et une radio.
– Comment concrètement les obstructions et critiques féroces apparurent à Bahia pour contrecarrer le travail scénique de Martin Gonçalves?
Je suis en train de revoir cela avec précision pour ma recherche actuelle de doctorat. Car la mémoire que nous possédons de son travail a été énormément altérée à cause de la campagne que les journaux montèrent contre lui. Je vais donc comparer cela avec les documents originaux, les affiches, les lettres, les programmes, sans oublier de nombreuses interviews avec ses contemporains encore vivants.
– Les éditorialistes de Bahia critiquèrent Martim Gonçalves, pour avoir, entre autres, reçu une aide financière de la Fondation Rockfeller. Quelle apparence cela prit ?
Nous ne pouvons oublier cette époque où le pouvoir des USA entrait en choc avec les « rouges » pour les peuples d’Amérique latine… Une fois de plus: la « question de l’argent américain » devint un problème pour Martim et l’Escola quand il se disputa personnellement avec le directeur du Diario, qui alimenta et insuffla cela à l' »impérialisme yankee », qui était une question très importante pour les étudiants gauchistes.
– Quelle a été sa première intervention scénique, et sa première mise en scène?
Ce fut un récital de Poesia e Teatro Luso-Brasileiro, au 1er Congrès Brésilien de Langue Parlée, dans le théâtre de l’UFBA. Mais la première mise en scène fut Auto da Cananéia, du portugais médiéviste Gil Vicente.
– Quels ont été ses montages les plus critiqués, et quels ont été ses apports ?
Les montages ont reçu une positive appréciation par la rédaction du quotidien Diário de Notícias jusqu’aux brouilles de Martim avec Odorico Tavares, le directeur de la rédaction, en 1961. Dans le quotidien A Tarde, toujours en activité en 2010, les articles furent rares et peu enthousiastes. A Tarde ne semble avoir jamais compris l’impact du travail de M. Gonçalves. Martim présenta à Salvador les oeuvres d’Albert Camus, Bertolt Brecht, Gil Vicente, Paul Claudel, Yukio Mishima et Tennessee Williams, sans oublier les Brésiliens Antonio Callado, Maria Clara Machado, Ariano Suassuna et Arthur Azevedo. Il publia également ses recherches sur le théâtre populaire de poupées géantes (mamulengos nordestinos), et a monté les tout premiers spectacles inspirés de la literatura de cordel à Bahia (Graça e Desgraça do Engole Cobra et Cachorro Dorme na Cinza). Et a conçu et organisé, avec l’architecte Lina Bo Bardi, la fameuse « Exposição Bahia », lors de la Ve Bienal de Arte de São Paulo, en 1959.
-Comment Martim Gonçalves fut poussé vers la sortie ? Quelle fut son ultime mise en scène?
L’ultime travail de Martim pour l’Escola de Teatro da Bahia a été avec Caligula, d’Albert Camus, monté pour la première fois au Brésil à cette occasion, en juin 1961. Jean Louis-Barrault, dont il était très ami, a assisté à une des représentations. Calígula actualise la confrontation entre la liberté individuelle et les pouvoirs constitués : ce spectacle a été, sans qu’il le sache, l’ultime grande critique que Martim fit à la société bahianaise et à ses institutions qui l’empêchèrent d’aller plus loin.
– La défense de Martim Gonçalves par le cinéaste Glauber Rocha s’effectua dans quel contexte ?
Glauber vivait entre Rio de Janeiro et Bahia au début des années 1960. Et le travail de Martim extrapolait depuis longtemps les frontières da Bahia. Glauber écrivait dans le Diário de Notícias, de Salvador, et dans le Jornal do Brasil, de Rio de Janeiro. Glauber a toujours évoqué son ample formation culurelle obtenue en assistant aux cours et spectacles de Martim.
– Quelle a été la marque principale laissée par M. Gonçalves à Bahia ?
Martim a été un administateur sui generis. Cela a été via l’Escola de Teatro que les fondements du théâtre moderne ont été appliqués systématiquement à Salvador. Martim a innové en transformant l’Escola de Teatro en un véritable centre interdisciplinaire et interculturel d’art.
– Martim Gonçalves a semblé d’une option sexuelle « non classique » dans la Bahia « machiste » d’alors. Ceci aurait-il influencé ses critiques?
Martim Gonçalves était un homosexuel qui ne cachait rien de ses penchants. La sexualité n’était pas un thème public pour lui. Bien que les quarantenaires célibataires n’échappaient pas aux commentaires… Il adoptait le même comportement de beaucoup d’homosexuels d’alors, comme son ami Pierre Verger. Mas la question a commencé à être « ventilée » par la presse seulement après sa profonde mésentente avec les représentants du quatrième pouvoir.
– Comment a été l’après Bahia pour Martim et quel a été son destin ?
En quittant Bahia, en 1961, il a exercé un travail important pour le théâtre brésilien à Rio de Janeiro: mises en scènes et lancement de nouveaux acteurs et scénographes, et il a signé durant neuf ans la colonne du théâtre dans le quotidien O Globo. Il a aussi coordonné la traduction des oeuvres de Constantin Stanislaviski et en a organisé l’édition au Brésil. Martim est décédé le 18 mars 1973, à Recife, sa ville natale, d’un cancer.
– Dans quelles conditions le théâtre universitaire vint-il à porter son nom au fronton ?
En 1996, quand l’Escola de Teatro da Ufba a commémoré 40 ans, les professeurs de l’institution ont décidé de rendre hommage en changeant le nom d’alors – Teatro Santo Antônio – par celui de Teatro Martim Gonçalves.
(1) Eros Martim Gonçalves a co-réalisé « ÂNGELA » avec Tom Payne et Abilio Pereira De Almeida, en 1951, sur un scénario de Alberto Cavalcanti (1897/1982)
* Editora Vento Leste, 2009. (1.500 ex.)
André Setaro avait commenté le livre de J. Santana :
http://teatronu.blogspot.com/2009/08/verdade-sobre-martim-goncalves-terra.html
1 réponse
[…] bahianaise Jussilene Santana (à gauche) était venue spécialement, hier soir 12 avril, de Rio de Janeiro pour assister à la […]