Gideon Rosa, « incandescent » Clov

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Clov (Gideon Rosa) et Hamm (Harildo Déda)

Clov a oublié l’échelle. Clov en a oublié la présence, momentanément, en un éclair de temps. Il se ravise, la rejoint et se hisse sur l’une de ses marches intermédiaires. Clov vient tirer le rideau qui obstrue une fenêtre haut perchée, à portée de main, sans même le regarder. Puis Clov, avec ses boots éculés qui raclent et heurtent les aspérités du sol, viendra enfouir son grand torse, et courber ce corps bancal, le plier presque, par deux fois, par les couvercles semi-ouverts de deux énormes barrils. Alors, ses deux rires carnassiers, immémoriaux par leur tonalité unique, qui résonnent, seuls, du fond des barrils, soudainement, seront venus briser le silence, notre silence « très peuplé », ce temps suspendu de ces quinze premières minutes de cette Fim de Partida.

« Solitude qui rayonne, vide du ciel, mort différée »*. Le visage de Clov nous apparaît tantôt las, tantôt exténué. Au-delà d’une résignation. Son bras droit, de tant harassé, pend le long de son corps. Courbatu, ce corps. Fléchie, cette épaule droite. Grise, cette peau. Cette épaule droite, comme déboitée, qui semble happer et entraîner son corps tout entier vers le sol. Ce corps, comme une loque déhanchée, qui flotte dans un pantalon élimé, comme pendu à deux bretelles. Déséquilibre du torse. Une vie ténue, semble-t-il. Ce regard qui n’affronte que le plancher. Pour regarder, enfin, la première fois, Hamm, il faudra à Clov attendre, plus loin dans cette journée qui n’en finit pas de s’étirer sous nos yeux, la question du vieil aveugle sur sa chaise : « Pourquoi vous ne me tuez pas ? ».

Par les méandres incroyablement subtils de ses gammes d’acteur qui s’ouvrent comme une corolle, Gideon Rosa, qui interprète Clov – le « révélateur » de cette pièce – saura percer l’armure de la vie, deux heures plus tard, et nous mener, quelquefois drôlement, à la canopée qui le délivrera tragiquement. Gideon Rosa, ce minéral taillé dans les perplexités de Clov, qui se faufile subrepticement, devant nous, dans le dédale et l’entrelacs des mots beckettiens, pour affronter le péril de l’Autre, le percer et le vaincre, chaque soir. Oui, Gideon Rosa, une éternelle incandescence ineffable.

* in L’Écriture du désastre, de Maurice Blanchot. La traduction de la pièce de Beckett, aux éditions Cosa & Naify est de Fábio de Souza Andrade qui est professeur de théorie littéraire à l’Université de Sao Paulo et auteur de  « O Engenheiro Noturno – A Lírica Final de Jorge de Lima » (Edusp).

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