Épique
« Pour l’épopée, l’existence est un océan. Rien n’est plus épique que l’océan. Bien entendu, on peut adopter à son égard toutes sortes d’attitudes. Par exemple, s’allonger sur la plage, écouter le ressac et ramasser les coquillages qu’il rejette. C’est ce que fait le poète épique. On peut aussi voyager sur l’océan. On peut le faire pour de nombreuses raisons, ou même sans aucune. On peut partir en mer et puis, au large, aucune terre en vue, rien que la mer et le ciel, entreprendre une croisière. C’est ce que fait le romancier. Il est vraiment solitaire et muet. L’homme épique se contente de se reposer. Dans l’épopée, le peuple se repose après sa tâche journalière ; il écoute, rêve et cueille. Le romancier, quant à lui, s’est isolé du peuple et de ses faits et gestes. »
« No sentido da poesia épica, a existência é um mar. Não ha nada mais épico que o mar. Naturalmente, podemos relacionar-nos com o mar de diferentes formas. Podemos, por exemplo, deitar na praia, ouvir as ondas ou colher os moluscos arremessados na areia. E o que faz o épico. Mas tambem podemos percorrer o mar. Com muitos objetivos, e sem objetivo nenhum. Podemos fazer uma travessia maritima e cruzar o océano, sem terra avista, vendo unicamente o ceu e o mar. É o que faz o romancista. Ele é o mudo, o solitario. O homem épico limita-se a repousar. No poema épico, o povo repousa, depois de um dia de trabalho: escuta, sonha e collie. O romancista se separou do povo e do que ele faz. »
Walter Benjamin
– Pour l’édition française: in « La crise du roman. A propos de Berlin Alexanderplatz de Döblin » [1930] in Walter Benjamin, Œuvres, II, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2000, p. 189-197 [p. 189 pour cette citation].
– Pour l’édition brésilienne: in Benjamin, Watlter. Obras Escolhidas Vol. l: Magia e Teenica, Arte e Politica, Siio Paulo: Ed. Brasiliense, 1985, p. 54.
Photo : plage du Grand Trou, dans le quartier de Rio vermelho, à Salvador, un matin du mois de mai 2010 (praia do Buracão)
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