Cette fenêtre, par Ruy Guerra
C’est un très beau texte, que nous traduisons ici. Comment un cinéaste et scénariste prestigieux, également parolier, Ruy Guerra – né au Mozambique – qui a tourné principalement au Brésil où il vit depuis plus de cinq décades, se perçoit-il via la langue portugaise? Il dit ici son « écartèlement » entre des cultures et souhaite « se rencontrer lui-même dans cette abstraction ».
Un texte que j’ai découvert dans le catalogue méticuleusement édité par la Cinemateca Portuguesa (64 pages, grand format), à Lisboa, à l’occasion du Ciclo sur les films de Ruy Guerra proposé entre le 25 mars et le 9 avril 1999. Ce catalogue – le tout dernier des 1.000 exemplaires – était par chance encore disponible à Lisbonne en 2011, lors du voyage d’une amie, là. Il y est spécifié que cette chronique alors inédite, serait dans l’année l’un des chapitres du livre « 20 navios » (20 navires – non traduit en France) publié alors par Editoral Caminho à Lisboa, par le cinéaste « portugais ». (Note : nous déplorons l’absence apparente, en ce début de XXIe siècle, de livres, biographies, études, essais, actualisés et conséquents, et cela quelque soit la langue, pour revenir sur la totalité de l’oeuvre d’un artiste aussi important. C’est d’ailleurs à partir de ce vide livresque abyssal constaté au Brésil que nous avions demandé, effarés, le catalogue lisboète. De la même manière, sur internet, il ne semble exister le moindre article ou essai dense pour évoquer cet artiste, (sauf exception : p. 39) Avis aux journalistes, traducteurs et éditeurs en manque de sujet !)
Après avoir tourné il y a sept ans avec le grand-chef opérateur Walter Carvalho, le metteur en scène dirige, depuis le 7 juilet 2012, la pièce de théâtre « Exilados » (Exiles), de James Joyce, au « Solar de Botafogo », à Rio de Janeiro. Une manière de ne pas oublier, pour celui qui fut l’ami des cinéastes français, entre autres Georges Rouquier, J.-D. Pollet et Pierre Kast, qu’il étudia aussi les arts de la scène, au TNP, à Paris, entre… 1954 et 1956. En 2013, R. Guerra projette une nouvelle pièce autour de Fernando Pessoa et sera aussi acteur dans le nouveau long-métrage de Lírio Ferreira, « Sangue azul ». (Bahiaflâneur, le jeudi 2 août 2012)
(Photos : auteurs non identifiés)
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Cette fenêtre
C’est la fenêtre d’un quatorzième étage.
De cette fenêtre je vois des Tziganes, des Portugais, des Cap-Verdiens, des Angolais, des Brésiliens. Je les identifie par la mémoire lorsque également je pars, là, à la quête.
De cette fenêtre, en mes nuits prolongées, je vois le vert du bois rongé par les premières barraques de zinc d’une favela naissante, et loin, avec des brillances chaque jour distinctes, les eaux du fleuve.
D’ici, de cette fenêtre, le bras droit figé par la douleur aigüe d’une foulure, pendant le cerveau somnolent s’étire et ouvre lentement les cellules à la lumière d’une éventuelle quelconque idée, je regarde cette ville, nouvelle pour moi, de ce pays que je connais seulement par les livres et parce qu’il me fût conté par mes parents depuis mon enfance.
De cette fenêtre, je regarde Lisbonne.
Non pas tout Lisbonne, ni même une partie représentative et ni certainement le plus important, s’il y en a un tel. Seulement cet espace infime.
Mais ici depuis cette fenêtre, fumant le mégot amer d’un cigare sans marque des Canaries, nostalgique du Pimentel Numero Dois Escuro, de Cruz das Almas*, compagnon de tant d’insomnies, je cherche à comprendre ce que veut dire être sur le Vieux Continent.
J’ai déjà beaucoup parcouru ces terres, par ces pays dits développés, mais toujours avec l’évidente certitude d’être quelqu’un en transit.
Aujourd’hui, d’ici, de cette fenêtre, je cherche une émotion différente : me convaincre que l’ici, maintenant, a l’éternité d’un choix. Mais je sais que je me trompe, pour peu que cette fenêtre m’amadoue et que le paysage ne m’agresse. Il faudrait me déchirer, effacer mémoires et tristesses, échanger des émotions d’accent, transformer des sentiments en froids raisonnements. Ou bien renaître, ce qui ne se produit que dans les novelas.
Comme tout Portugais, même de seconde classe par la stigmate coloniale, je suis né émigrant. Et comme tant d’autres, j’ai accompli la fatalité et j’ai parcouru le monde.
Moi, pour qui la nationalité fut toujours un sentiment repoussé et seulement un passeport bleu, tamponné par la honte de l’histoire du salazarismo, je vis maintenant la violente nécessité de vouloir me trouver dans cette abstraction.
C’est cela que je cherche, ici depuis cette fenêtre.
Car il n’est pas possible de simuler que je suis mozambicain, si je ne suis pas retourné vers les pourpres acacias de mon enfance et si je n’ai accepté le quotidien incertain de l’Indépendance. Et pourtant je sais que je suis mozambicain.
Car il n’est pas possible de simuler que je suis brésilien, même si j’ai accumulé des décades vert-jaune dans ma chair, même si j’ai eu des filles et des passions brésiliennes, même si c’est dans les eaux du Tatuari** dans une aube de brumes où j’aimerais que fussent lancées mes cendres. Et pourtant, je sais que je suis brésilien.
Car il n’est pas possible de simuler que je suis portugais, et j’ai toujours fui de cette métropole distante qui marqua ma jeunesse par le fer et par le mépris, cinq écussons sur la poitrine et le bras étendu sur la Praça Mouzinho de Albuquerque. Et pourtant, je sais que je suis portugais.
D’ici, de cette fenêtre, quand la nuit vient et que Lisbonne pulvérise en ses lumières anonymes de grande ville [bien qu’encore je peux m’imaginer à Maputo, Havana, Rio de Janeiro] ou quelque autre ventre, je sais maintenant que je ne peux plus me tromper, car je suis inexorablement seul avec ma schizophrénique latinité-africanité.
Comme il est douloureux d’être un éternel écartelé, un éternel étranger à l’intérieur de soi-même, « attaché au propre cadavre ».
Il me reste la langue comme patrie, comme au poète.
Et le sentiment du monde, comme à un autre.
C’est beaucoup.
Je dirais que c’est excessif.
Il me reste cette fenêtre.
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* Cigare de la fabrique C. Pimentel & Cia (créée en 1937, à Maragogipe, à Bahia). À la fin des années 1930, leurs immeubles ont été acquis par la marque Suerdieck, toute-puissante alors. Pimentel fut fermée en 1990. Cruz das Almas est un village, proche de Cachoeira, clef pour la production de cigares. Pimentel Numero Dois Escuro, l’un des types de cigare, peut se traduire par « Numéro 2 très foncé ».
** Rio Tatuari. Fleuve Tatuari, qui se trouve dans les terres du Parque Nacional do Xingu (2,8 millions d’hectares, périmètre de 920 km), au nord de l’Etat du Mato Grosso. R. Guerra a tourné « Kuarup », en 1989, à partir du célèbre roman homonyme de Antônio Callado. Kuarup est un rituel des indigènes du Parque do Xingu pour rendre hommage aux morts. Des troncs, appelés « kuarup », sont la représentation concrète de l’esprit des morts. Un récit du tournage du film de R. Guerra a été publié par la revue mensuelle brésilienne Piaui, rédigé par l´actrice Fernanda Torres, dans le numéro d´avril 2012, sous le titre « Minha cerimônia do adeus ». Le cinéaste y est décrit comme un « un homme charismatique, un joueur à l´âme de révolutionnaire, figure impaire ».

Ruy Guerra et la directrice de l'Escola De Cinema Darcy Ribeiro, où il enseigne depuis quelques années.
Esta janela
É a janela de um décimo quarto andar.
Desta janela eu vejo ciganos, portugueses, cabo-verdianos, angolanos, brasileiros. Eu os identifico pela memória de quando também ando por lá rastejando.
Desta janela, nas minhas tardias madrugadas, eu vejo o verde da mata roído pelas primeiras barracas de zinco de uma incipiente favela, e longe, com brilhos cada dia distintos, as águas do rio.
Daqui desta janela, o braço direito fisgado pela dor aguda de uma talvez bursite, enquanto o cérebro sonolento se espreguiça e abre vagarosamente as células à luz de alguma eventual ideia, eu olho esta cidade nova para mim, deste país que eu só conheço pêlos livros e por que me foi contado por meus pais desde a minha infância.
Desta janela, eu olho Lisboa.
Não toda a Lisboa, nem o pedaço mais representativo e nem certamente o mais importante, se é que há um. Apenas este ínfimo pedaço.
Mas aqui desta janela, fumando a guimba amarga de um charuto sem marca das Canárias, nostálgico do Pimentel Número Dois Escuro, de Cruz das Almas, Bahia, companheiro de tantas insónias, procuro compreender o que é estar no Velho Continente.
Já andei muito por estas bandas, por estes países ditos desenvolvidos, mas sempre com a certeza inequívoca de ser alguém em trânsito.
Hoje, daqui desta janela, eu busco uma emoção diferente: convencer-me de que o aqui, agora tem a eternidade de uma escolha. Mas sei que estou me enganando, por muito que esta janela me acarinhe e que a paisagem não me agrida. Seria preciso rasgar-me muito fundo, apagar memórias e tristezas, trocar emoções de sotaque, transformar sentimentos em raciocínios frios. Ou renascer, o que só acontece nas novelas.
Como todo português, mesmo de segunda classe pelo estigma colonial, nasci emigrante. E como tantos, cumpri a fatalidade e saí mundo afora.
Eu, para quem a nacionalidade foi sempre um sentimento adiado e apenas um passaporte azul, carimbado pela vergonha histórica do salazarismo, vivo agora a violenta necessidade de querer me encontrar dentro dessa abstração.
E isso que eu busco, aqui desta janela.
Porque não dá mais para fingir que sou moçambicano, se não voltei para as acácias rubras da minha infância e não aceitei o cotidiano incerto da Independência. E no entanto sei que sou moçambicano.
Porque não dá mais para fingir que sou brasileiro, mesmo se acumulei décadas de verde-amarelo na carne, mesmo se tive filhas e paixões brasileiras, mesmo se é nas águas do Tuatuari num amanhecer de brumas onde eu gostaria que fossem lançadas as minhas cinzas. E no entanto, sei que sou brasileiro.
Porque não dá mais para fingir que sou português, se sempre fugi dessa metrópole distante que marcou a minha juventude a ferro e desprezo, cinco quinas no peito e braço estendido na Praça Mouzinho de Albuquerque. E no entanto, sei que sou português.
Daqui desta janela, quando a noite chega e Lisboa pulveriza nas suas luzes anónimas de cidade grande [ainda que possa me imaginar em Maputo, Havana, Rio], ou qualquer outro ventre, sei agora que não posso mais me enganar, porque estou inexoravelmente só com a minha esquizofrênica latino-africanidade.
Como é doloroso ser um eterno esquartejado, um eterno estrangeiro dentro de si mesmo, « amarrado ao próprio cadáver. »
Me resta o idioma como pátria, como ao poeta.
E o sentimento do mundo, como a um outro.
É muito.
Eu diria que é demasiado.
Me resta esta janela.
Quelques entretiens publiés en français et en espagnol:
– Tessier, Max, « Entretien à Ruy Guerra », in Le « Cinéma Novo » brésilien. Études Cinématographiques, [MCMLXXII], nº93-96, Paris, Lettres Modernes, Minard, 1972.
– Entretien avec J.A. Fieschi et J. Narboni, in Cahiers du Cinéma (Paris), avril 1967
– Entretien avec Rui Nogueira, in Image et Son (Paris), décembre 1974.
– Entretien avec Michel Ciment, in Positif (Paris), June 1983.
– Entretien avec Serge Toubiana, in Cahiers du Cinéma (Paris), décembre 1983.
– Entretien avec Luciano Castillo in Cine Cubano (Habana), no. 134, 1992 : « Ruy Guerra: sonar con los pies sobre la tierra ».
Deux articles publiés en français :
– « Guerra au ralenti », in Libération, 21 novembre 1983, par Serge Daney.
– « Ruy Guerra, La Plage du désir (Os Cafajestes) », in Libération, 7 juin 1984, par Serge Daney.
Ces deux articles figurent dans le volume « La maison cinéma et le monde – 2. Les Années Libé 1981-1985, édité en 2002 par P.O.L. et Trafic, établi par Patrice Rollet avec Jean-Claude Biette et Christophe Manon.
Une monographie-catalogue publiée à São Paulo :
Organisée par Dolores Papa, à l’occasion de la mostra « Diretores Brasileiros – Ruy Guerra, filmar e viver », réalisée en août 2006 au Centro Cultural Banco do Brasil, à São Paulo ; 112 pages ; MD Banco do Brasil.
Ruy Guerra, par Chico Buarque
Ruy Guerra, meu parceiro de canções, de peça de teatro, de roteiro de cinema, de mil projetos engatilhados, engavetados. Meu diretor de show, meu beque de roça, meu feroz adversário no ténis, meu parceiro de teco-teco, jipe, lombo de mula, na praia e na montanha. Meu mestre em informática, dietética, estatísticas, vampirismo, tauromaquia, entomologia e charutos.
« Alguém em trânsito », declara-se Ruy Guerra, e já o revejo com a bolsa de couro a tiracolo, em Lisboa, em Luanda, em Havana, em Paris, em Barcelona, em cidades onde o encontrei falando variadas línguas com o mesmo sotaque. E por estar em quase permanente trânsito, em qualquer parte Ruy Guerra parece ser de casa. Emigrante sim, « como todo português », mas não exilado (Stefan Zweig dizia do exílio que é como viver deslocado de seu eixo de gravidade).
Ruy Guerra, sempre avesso a nostalgias, relata numa de suas crónicas o seu retorno a Moçambique depois de vinte e cinco anos. De visita à casa onde costumava passar as férias com a família, no interior do país, depara com as macieiras, cerejeiras, amendoeiras, cujas mudas o pai mandara buscar de navio em Portugal. « Continuavam lá, atrofiadas árvores inadaptadas, miúdas, mesquinhas, mirradas, iguais a quando eu as deixara pela última vez, e já então motivo de chacota da minha parte… » Naquele sítio, fronteira com o reino da Swazilândia, reencontra também uma relíquia infantil: as aventuras de Tarzan, o Rei das Selvas, em edição importada de além-mar.
Nómade porque cineasta, ou provavelmente vice-versa, Ruy nos fala de uma entrevista em Jeremoabo, outra em Pigalle, um contrato no Japão, circunstâncias preliminares de seus filmes. Fala de gente de cinema com quem andou cruzando, e a princípio achei curioso que não se referisse às suas próprias filmagens, bastidores, atores que dirigiu. Pudor? Depois lembrei-me de tê-lo visto em ação, varando a noite num set, possuído, fora do mundo. Imagino que, concluído um filme, aquelas madrugadas para ele deixem de existir, como os sonhos que ele jamais recorda.
As reminiscências, o cotidiano, o noticiário e a interpretação dos acontecimentos políticos estão nas crónicas de Ruy Guerra. E também a falta de assunto, à Ia Rubem Braga, referência obrigatória neste género literário. Ler « Vinte Navios », para mim, foi reviver uma amizade de mais de trinta anos. Uma afinidade que não se esgota, talvez porque ele seja um papo universal, e eu um especialista em silêncio. Para quem não conhece o gajo, vai neste livro uma amostra, contendo pulgas e coronéis, indignações e amenidades, aviões e calmantes, Vargas Llosa e Garcia Márquez, Fidel Castro e Juscelino, Monica Vitti e seus spaghetti, mais Janaina e Dandara e charutos.
maio de 96
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